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Québec, l’entrée d’un monde! (Été 1992)  (6 minutes de lecture)

 

 

  Nous étions partis très tôt de Deschaillons ce matin-là, si tôt que nous baillions aux corneilles. Nous n’avions guère le choix, car nous devions nous présenter aux rapides-richelieu, idéalement, à l’étale de la haute mer. C’était donc soit partir avant le lever du soleil, soit en après-midi, ce qui nous aurait fait arriver de nuit.

 

  L’absence de vent total nous avait obligés à mettre le moteur, et c’est avec son ronron monotone que nous avions parcouru cette étape, bientôt poussés par la marée. Le soleil avait rougi le fleuve, et une magnifique journée d’été s’était levée doucement alors que nous suivions le chenal, attentif. Les ponts de Québec étaient en vue depuis fort longtemps lorsque nous en approchâmes finalement, et malgré leurs hauteurs incroyables, nous ne pûmes nous empêcher de regarder le bout de notre mât et de rentrer la tête dans nos épaules avec appréhension lors du passage.

 

  Un peu plus tard, une légère brise se leva enfin, et maintenant tout près de notre destination, nous mîmes les voiles et coupâmes le moteur. Tirant de longs bords nonchalamment, nous observions ce paysage nouveau à nos yeux, avec la sensation du devoir accompli. Il y avait bien quelques voiles à l’horizon, mais il était très tôt encore en ce dimanche matin, et le fleuve semblait nous appartenir.

 

  Nous dirigeant doucement vers la marina de Sillery, des tintements se mêlèrent aux bruits de nos drisses sur le mât. Tendant l’oreille d’abord inquiète, je perçus bientôt le son clair des cloches du presbytère Saint-Michel qui semblaient annoncer notre arrivée.

 

  Sentant bientôt le courant de la marée montante qui commençait à nous ralentir, nous ferlèrent nos voile et approchâmes de l’embouchure du bassin. Une fois à l’intérieur, je ne pouvais en croire mes yeux. Cent, deux-cents, trois-cents si ce n’est près de quatre-cents mâts, se dressaient fièrement vers le ciel bleu! Nous n’étions qu’à deux jours de notre port d’attache, et pourtant déjà si loin. Des petits, des moyens, des grands, des rapides, des hauturiers en acier, des vieux en bois, il y en avait pour tous les goûts, et après avoir rejoint notre ponton de visiteur, je ne me lassais pas de parcourir les quais ébahis. Nous avions rejoint la Mecque de la voile!

 

  Le lendemain, n’ayant pas une longue étape à faire et voulant relâcher au vieux port de Québec, c’est avec la marée haute de l’après-midi que nous partions, enfin reposé après une longue nuit de sommeil. La fin de journée et le début de soirée se passèrent à tirer des bords avec une bonne brise d’Ouest, faisant parfois la course avec de fiers voiliers montés par des équipages enthousiastes.

 

  Le vent finalement tomba, et c’est à moteur que nous parcourûmes les derniers miles, longeant les hauts quais occupés par de grands navires rouge et blanc de la Garde-Côtière, sous le regard bienveillant de la citadelle majestueuse. Ainsi près de la belle Capitale, la basse ville s’offrait à notre regard, surplombée du Château Frontenac et du grand dôme de la Cathédrale. Nous avions bien sûr déjà visité Québec en voiture et nous pensions la connaître, mais cette vision nouvelle nous laissait sans voix! Cette perspective différente nous la montrait maintenant, telle que les navires d’un autre temps devaient l’apercevoir après leurs longues traversés et leurs difficiles remontées du fleuve.

 

  En début de soirée, nous approchions du bassin Louise lors qu’une nouvelle apparition s’offrit à nos yeux étonnés. Les mâts rosis par le couchant, un fier trois-mâts d’un autre âge s’avançait doucement à moteur vers le bassin. Nous pouvions voir les matelots s’affairer à préparer l’accostage et c’est avec respect que je mettais le moteur au neutre afin de le laisser passer. En entrant derrière lui dans le bassin, nous n’eûmes aucun mal à oublier les remorqueurs et les bâtiments modernes qui nous entouraient. Alors que ce fier vaisseau s’accostait dans une manœuvre parfaite, j’étais comme transporté dans le temps, ce temps ou parfois plusieurs dizaines de grands voiliers étaient ancrés devant la Capitale du Nouveau Monde, attendant leurs chargements d’épinettes pour retourner vers le vieux continent. Nous dirigeant vers l’écluse maintenant ouverte pour pénétrer dans le port de plaisance, je ne pouvais en détacher le regard, n’ayant jamais vu si grand, ni si beau voilier. L’équipage était maintenant au complet, au garde-à-vous rangé sur le pont, et le capitaine semblait les passer en revue.

 

  Malgré que plus de vingt-cinq ans ce soit passé depuis ce premier passage dans la vieille Capitale en voilier, ces images restent très claires à mon esprit. Qui n’est jamais arrivé à Québec en bateau n’aura jamais une telle vision de cette ville. C’est vraiment magnifique!

                                                                                                          

Québec, la magnifique!

 

  Le surlendemain, ayant refait vivres et eau, nous étions près pour le grand départ. Encore une fois, l’heure de marée nous obligeait à un appareillage avant l’aube, et c’est seul que nous nous présentâmes dans l’écluse pour notre sortie. À nouveau, l’absence de vent nous obligeait à mettre notre puissant moteur hors-bord de 6cv en route, et nous pointions maintenant la fière étrave de notre vaisseau de 22 pieds vers l’eau salée, que nous devions rejoindre dans les prochaines heures.

 

  J’étais confiant en mon quillard et en ma courte expérience de marin d’eau douce, mais c’est l’estomac parfaitement noué que je tournais la bouée du chenal nord de l’île d’Orléans et pointait vers le nord-est. Ayant maintenant un cap franc, je confiais la barre à mon compétent mousse afin de retourner pour la énième fois dans la cabine regarder ma carte. Faisant encore et encore de compliqués relèvements et calculs de navigation, j’eu soudain la sensation étrange que quelque chose n’allait pas. Me relevant partiellement de mon siège, car la hauteur sous barrot ne faisait que quatre pieds, je regardais attentivement par le hublot et ce que je vis n’eut rien pour me rassurer. Les arbres de la côte défilaient à toute vitesse, remplacés bientôt par l’eau, par les arbres, par l’eau! Étions-nous soudain pris dans un affreux tourbillon tel qu’il y en a dans les vieilles légendes marines? À moins qu’un immense Léviathan nous ait pris par mégarde sur son dos alors qu’il tourbillonnait dans une danse nuptiale inédite? Reprenant mes esprits et tout mon courage, je me précipitais sur le pont sans attendre, pour trouver mon mousse, barre à tribord toute, qui dormait profondément en faisant des ronds parfaits sur l’eau!

                                                                                      

 

  Je pensais d’abord user de mes prérogatives de capitaine, seul maître à bord après Dieu, et faire pendre à la grande vergue ce matelot nonchalant, mais réalisant soudain que je n’avais qu’un seul membre d’équipage, et n’ayant pas la sévérité d’un Capitaine Blight, je sonnais la cloche de quart et envoyait sa bordée dormir en bas, pensant plus tard le priver de sa ration de grog.

 

  Nous étions jeunes, nous étions beaux, et nous avions cette aventure merveilleuse devant nous. Sans expérience, sans gps et sans radar, nous mettions fièrement notre Tanzer 22, cap vers l’eau salée, vers l’avenir. Nous entrions dans un nouveau monde!

 

Le Poète

 

Alain Lavoie

 

 

#québec #navigation #aventure #récit #voilier #stlaurent

Tag(s) : #Histoires Vécues
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