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Les bruits de la mer, le silence de la forêt (8 minutes de lecture)

 

  Dans ma petite maison dans la neige, loin loin de la mer, sirotant doucement mon café, j’écoute le vent dont les rafales doivent dépasser les quatre-vingt-dix kilomètre-heure. Je savoure ces instants de solitude qui me permettent de descendre un peu au fond de moi-même. Fermant les yeux, j’arrive à voir les vagues grises et durs qui doivent déferler là-bas dans le golfe du St-Laurent, et un peu plus loin dans l’Atlantique, sur les bancs de Terre-Neuve.

  Ou que je sois, et quelques soient mes occupations, quand j’entends le vent qui souffle ainsi, je ne peux m’empêcher d’imaginer la mer. Je n’y peux rien, c’est comme ça. Je n’y ai pourtant jamais mis l’étrave, sur ces bancs de Terre-Neuve, mais je les connais sans vraiment les connaître. J’y vais très souvent… en rêve.

  Bien sûr, je ne voudrais pas y être en ce moment. Il fait moins trente degrés Celsius dehors! Avec ce vent d’Ouest, sur mon petit voilier, je serais sûrement tribord amure, avec un tout petit bout de toile sur l’avant, ou peut-être même à sec de toile, et surfant les rouleaux aux trois quarts de l’arrière, je ferais le plus de sud possible pour me dégager de ces foutus bancs au plus vite et trouver moins de vagues et un peu de chaleur. Ce serait un sale moment à passer… oh oui… un très sale moment! Mais voilà, je suis bien ici, à siroter mon café brulant dans ma petite maison dans la neige, avec ma solitude.

  Certains de mes copains, s’ils pensent à moi de temps en temps, doivent se dire que je fais un bien piètre ami. Ce n’est pas que je n’aime pas les gens, que je n’aime pas leur compagnie, mais pour plusieurs je suis ce genre de gars qui vous appelle ou qui passe comme ça chez vous une fois par année et parfois moins. Pourtant, ils ont l’air content de me voir, c’est souvent comme si on s’était quitté la veille, et on a beaucoup de choses à se raconter. On se fait alors des promesses de se voir plus souvent, mais c’est toujours la même chose.

  Il est vrai que j’ai ma conjointe qui me comble, et ma famille aussi dont je suis très proche, mais il y a autant de personnes différentes qu’il y a de gens sur cette terre, n’est-ce pas? Certains ont plus besoin de compagnie que d’autres. Moi, cette pierre réfractaire qui se trouve au fond de ma poitrine, elle peut rester chaude très longtemps sans que j’aie besoin de contacts humains pour la réchauffer. C’est dans cette solitude, dans ce silence que je parviens à écrire, que j’arrive à descendre un peu au fond de moi-même. Ceux qui pratiquent la méditation doivent me comprendre. Il faut parfois faire ce silence, pour enfin arriver à entendre.

  Il est difficile dans cette société d’aujourd’hui, dans cette vie où tous nos sens sont constamment stimulés de vraiment entendre. C’est comme dans cette forêt où je passe beaucoup de temps l’automne. Lorsqu’on y marche, on croit y voir, y sentir toute la vie, mais il n’en est rien. La forêt à notre approche, aux bruits de nos pas, au contraire, s’immobilise, retient son souffle. C’est seulement si on arrête, qu’on s’installe confortablement et qu’on reste sans bouger qu’on peut voir et entendre. Mais ce n’est pas facile, même si on est bien assis et bien confortable, il faut être camouflé et ça prend du temps. Une trentaine de minutes, sans le moindre geste et parfois plus. Nous devenons alors un arbre, et alors, alors seulement, le miracle se produit.

  Au début ce sont les oiseaux. Ils se remettent à chanter, à voler d’arbre en arbre. Un merle siffle une longue mélopée, et au loin, un autre lui répond, puis un autre encore. Un grand pic arrive, grimpe sur un arbre mort devant moi, se met à l’œuvre dans des bruits sourds, puis repart aussi vite qu’il était venu. Parfois des mésanges, dans des froufrous d’ailes et en émettant des petits cris, viennent tout près, se posant parfois sur moi quelques secondes, pour repartir aussi vite dans cette quête de je ne sais quoi. Les écureuils se remettent à se promener, fouillant dans le sol en quête de nourriture, se poursuivant et s’invectivant. Un mulot passe en sautillant, trois petits sauts, il arrête, puis quatre autres sauts, il arrête encore puis disparaît de ma vue. Mais pour ne pas briser cette magie, il faut rester immobile et c’est très difficile.

  Soudain, dans un grand chuintement qui me fait sursauter, une ombre passe au-dessus de ma tête. C’est une petite chouette rayée. Elle s’est posée sur une branche à seulement quelques mètres. Elle tourne la tête d’une façon tout à fait incroyable, et je peux voir les détails magnifiques de son plumage. Mais où sont les écureuils et les oiseaux? Ils ont tous disparu! Plus un chant, plus un son, que cette chouette qui tourne la tête. Elle repart, deux battements d’ailes, puis elle plane et disparaît. Les écureuils et les oiseaux réapparaîtront, mais dans seulement plusieurs minutes, à moins que la chouette ne revienne.

  Au bout de deux heures, un chevreuil approche. C’est une biche adulte. Elle fait quelques pas, écoute les oreilles tendues, puis refait quelques pas, mâchouille quelques feuilles de framboisiers en passant, écoute, avance encore, humant l’air aux aguets. Elle jette un regard derrière et secoue la queue. C’est le signal que tout va bien, et je sais qu’elle n’est pas seule, d’autres suivront bientôt. Quelques minutes plus tard, un faon arrive, puis un deuxième. Celui-là est si près de moi que je peux entendre les petits bêlements qu’il émet en appelant sa mère, comme ceux d’une petite chèvre.

  Bientôt, la nuit tombera. Dans les derniers rayons du crépuscule, les arbres et leurs feuilles jaunes, rouges et orangées s’illumineront un instant de couleurs criardes presque irréelles, alors que le vent, après quelques derniers souffles, tombera complètement. Au fur et à mesure que la lumière de l’astre s’atténuera, la forêt s’apaisera. C’est difficile à décrire, mais pendant ces quelques minutes, on peut entendre le vrai silence de la forêt. Dans ce petit monde en soi, où une vie commence et une vie s’éteint à tout moment, pendant ces quelques instants, une paix s’installe et nous transcende.

  Mais voilà, la nuit est maintenant tombée, il est temps de partir, mais j’hésiterai. Un hululement lugubre résonnera un peu plus loin, peut-être la chouette de tout à l’heure, et un peu plus près, les hurlements d’un coyote me glaceront le sang. J’ai beau savoir qu’ils ne sont pas dangereux pour l’homme, j’en aurai les poils de la nuque retroussés. Alors que je redescendrai de mon arbre, un chevreuil à seulement quelques mètres soufflera bruyamment et détalera dans un vacarme. Le cœur m’aura fait trois tours, c’est certain, et alors que je marcherai vers ma voiture, je pourrai voir le sentier sans allumer ma lampe, car mes yeux se seront habitués à la pénombre. Dans quelques instants, je serai à table avec mes parents devant un bon souper, de retour à une vie normale d’humain, mais tous les bruits de la forêt, toutes ces vibrations continueront à m’habiter, et ce, très longtemps.

  Oui, dans cette vie moderne, dans ce monde de fou, il est bien difficile d’entendre et de faire silence en nous. Ça me fait penser aux paroles d’une très belle chanson du groupe Supertramp que je joue au piano et qui s’appelle Downstream et qui dit à peu près, «Prendre un bateau dimanche, toi et moi, seuls sur la mer… et tout autour le silence, partout…». On voit que celui qui l’a composée n’a jamais fait de bateau, ou en tout cas qu’il ne parlait pas de silence au sens propre, mais bien figuré. Il n’y a pas d’environnement plus rempli de bruit que celui d’un bateau, et de surcroit sur la mer! Même à l’ancre ou au port, c’est rempli des bruissements de l’eau, d’une bouée qui couine contre le quai, du ruissellement d’une cale qui se vide, d’une drisse qui claque contre un mât… difficile de faire moins silencieux!

  J’ai connu un gars autrefois qui me parlait souvent du bateau dont il rêvait, et il a fini par l’acheter après biens des années. Mais lui et sa femme, malgré des bouchons d’oreilles, n’arrivaient pas à y dormir. Impossible de fermer l’œil avec tout ce vacarme. Ça n’aura duré qu’une saison, puis il dut se résoudre à le vendre. Moi pourtant, tous ces bruits de bateaux ne me gênent pas. Tous ces craquements, ces bruissements d’eau, ces drisses qui claquent sonnent plutôt comme une musique à mes oreilles, et ils ne m’empêchent pas de trouver le sommeil, ni de faire le silence en moi, bien au contraire.

  Ça me rappelle une fois, j’étais tout jeune, et j’avais plutôt bien abusé de l’alcool ce soir-là, et mon petit Tanzer 22 était sur une bouée près de la marina de Boucherville. Il ventait très fort du nord-est et ceux qui connaissent le fleuve St-Laurent dans la région de Montréal savent qu’avec un bon nordet face au courant, ça brasse! Donc plutôt bien éméché, j’avais réussi à me rendre à bord dans mon petit zodiac, sans trop me faire mouiller, et surtout, sans me noyer, ce qui n’était pas rien. Je m’étais alors couché dans la pince avant qui sautait et retombait d’une façon digne d’une montagne russe… et pourtant… je dormis comme un bébé! Comment avais-je pu dormir ainsi, sans être malade, surtout après avoir bu autant?… Ça restera un mystère, mais le lendemain je m’étais rendu au travail en pleine forme! Ah… la jeunesse!

  Tiens, le vent semble être tombé, et maintenant il se fait tard et je dois vous laisser. En tout cas, je vous promets de faire des efforts. J’essayerai à l’avenir d’être un meilleur ami, d’appeler plus souvent mes proches et de leur donner des nouvelles. Peut-être que je pourrai leur raconter les bruits de la mer, les bruits et le silence de la forêt?... mais cela les intéressera-t-il? En tout cas moi par la suite, dans ma solitude, je sentirai la chaleur de cette pierre réfractaire qu’ils auront irradiée… celle qui me tient au chaud aujourd’hui alors que je descends un peu au fond de moi-même… seul dans ma petite maison dans la neige loin loin de la mer par moins trente degrés Celsius!

 

Alain Lavoie

Tag(s) : #Histoires Vécues, #Poésie
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