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Je suis un livre  (3 minutes de lecture)

 

  J’étais un petit livre, un petit livre d’images. Je virevoltais ma vie à coup de capes et d’épées, à coup de monstres et de fées. Mes pages étaient à nues, faites d’images claires et vives que tous parcouraient d’un seul regard. J’étais un petit livre, mais si petit et les autres si grands, si intéressants!

 

  Les années ont passées, le temps a fait son œuvre. Les couleurs vives de mes premières pages se sont doucement estompées, ne laissant que quelques bribes, que quelques images, mais j’en criais de nouvelles, de nouvelles plus éclatantes encore. Auparavant, j’étais si petit et j’avais toujours dû crier si fort pour être vu qu’il était bien difficile de m’apaiser.

 

  Je me croyais maintenant grand et intéressant, je me croyais savant. Un livre savant qui croyait tout savoir, qui croyait avoir toutes les réponses. Je barbouillais mes pages à grands coups de pinceau, de couleurs vives, d’instants futiles et d’images fourbes. Images fourbes et trompeuses qui parfois s’estompaient en une seule journée, en un seul instant, l’instant d’une nuit brumeuse ou d’un matin éthylique. Mais qu’importaient qu’elles s’effacent, qu’importaient qu’elles trompent, j’avais si belle couverture, j’avais si belle jaquette. Je me croyais si grand, si intéressant, et j’avais tellement de pages devant moi! J’aurais un jour tant de dorures, tant de gravures!

    

  Les années ont passées, le temps à continué son œuvre. Mes pages se sont cornées, mes images se sont déchirées. J’en ai crié d’autres inlassablement, mais avec de moins en moins d’enthousiasme, de moins en moins de couleurs vives. Lassé des orages et des bourrasques qui emportaient mes pages, lassé de tous ceux qui après un regard rapide et sans respect aucun, me froissait sans gêne, je me refermais de plus en plus. Je comprenais doucement. Je comprenais doucement que jamais pour eux je ne serais grand, ni vraiment intéressant.

 

  Mes cris se sont estompés, ma voix s’est éraillée. Mes images se sont faites moins nombreuses, moins vives, mais les contours se sont doucement précisés. Ma jaquette déchirée s’est envolée en lambeaux, laissant apparaître ma vraie couverture, ma couverture de cuir tanné.

 

  Les années ont passées, le temps a fait son œuvre. Mes pages cornées et jaunis sont maintenant verrouillées. Je continue à les dessiner, mais je le fais en prenant le temps, en m’appliquant bien à chaque trait, sans cri, dans un souffle. J’ai compris que je ne suis pas un livre savant, mais je sais maintenant certaines choses. Je sais maintenant que les dorures et les belles gravures n’ont pas tant d’importance. Je sais aussi que je dois protéger mes pages, car les bourrasques finissent toujours par revenir.

 

  Maintenant mes cris ont cessés, ma voix s’est apaisée. Mes images sont moins nombreuses et moins vives, mais elles sont belles et profondes. Je garde chacune d’elles précieusement et seul quelques uns y ont désormais accès. Pour ces quelques uns, je suis peut-être moyennement grand ou moyennement intéressant, mais je suis important et cela me suffit.

 

  Je suis un vieux livre à couverture de cuir tanné et je n’ai ni dorures, ni gravures. Si tu m’aime suffisamment, je te donnerai ma clef et te livrerai mes pages jaunis. Je le ferai sans cri et sans fausses couleurs, mais sache que si tu possèdes cette clef, tu deviendras pour moi un vrai trésor, car ceux qui la possède sont ma seule richesse.

 

Le Poète

 

Alain Lavoie

Tag(s) : #Poésie
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